vendredi 14 décembre 2012

Le pétrole et nous 2

Dans mon dernier billet, j’ai sommairement exposé les causes d’un phénomène nouveau, soit la divergence marquée depuis le début de 2011 entre les deux prix du pétrole, le WTI et le BRENT.

Au Canada, ce phénomène prend une importance particulière étant donné qu’au niveau de l’approvisionnement de pétrole, le Canada est divisé en deux (par la ligne Borden) : le Québec et les provinces atlantiques s’approvisionnent en pétrole d’Europe et d’Afrique (prix du BRENT), tandis que l’Ontario et les provinces de l’ouest s’approvisionnent en pétrole nord-américain (prix du WTI).

Comme le BRENT s’est négocié en moyenne 16$ de plus que le WTI depuis janvier 2011, soit plus ou moins 10¢ le litre, on aurait pu s’attendre à ce que les pétrolières refilent cette hausse aux consommateurs de l’est. Or, que s’est-il produit? Les pétrolières ont effectivement refilé cette hausse aux consommateurs... mais à ceux de l'ouest, diminuant au passage leurs marges au Québec et dans les provinces Atlantiques!

C’est ce que l’on constate en observant les données du Ministère des Ressources naturelles du Canada. Il suffit de distinguer les trois composantes du prix de l’essence :
  • Le pétrole brut, dont le prix est déterminé par les marchés (et non par les pétrolières);
  • Les coûts et les marges du raffineur et du négociant;
  • Les taxes fédérales et provinciales. Certaines sont fédérales et s’appliquent partout (la taxe d’accise de 10¢ le litre et la TPS de 5%), d’autres provinciales (les taxes d’accise et les taxes de ventes provinciales) ou régionales (comme la taxe de 3¢ le litre à Montréal et dans ses environs, ou celle de 9¢ le litre à Vancouver).
Voici un graphique qui montre la part de ces composantes dans le prix à la pompe de l’essence ordinaire dans cinq villes canadiennes (trois à l’ouest et deux à l’est), pour 2010.



En 2010, l’absence de divergence entre le prix du WTI et celui du BRENT se reflète sur le prix du brut – il est le même partout : 49¢ le litre. Les coûts et marges du raffineur et du négociant, pour leur part, varient peu d’une ville à l’autre : plus ou moins 2¢ par rapport à la moyenne canadienne de 21¢. Finalement, la taxation est le facteur expliquant les différences entre les villes : faible à Calgary, élevée à Vancouver et Montréal.

L’écart moyen entre le BRENT et le WTI a été de 0,12$ en 2010. Or, en 2011, il était de 16,39$. Et le graphique montre bien cette divergence.



En 2011, le pétrole brut représente 60¢ le litre dans les villes de l’ouest, mais 69¢ le litre  dans les villes de l’est. Comme je disais au début, on se serait attendu à ce que à ce que les prix (avant taxes) deviennent plus élevés dans l’est que dans l’ouest.

Or, il n’en est rien. Les marges ont été gonflées dans l’ouest (25¢ à 27¢), et réduites dans l’est (14¢ et 15¢). De sorte qu’au final, l’essence (toujours avant taxes) demeure moins chère dans l’est que dans l’ouest!

Et finalement, les taxes expliquent encore une fois la différence entre les villes. De 24¢ à Calgary jusqu’à 46¢ à Montréal.

On pourrait évidemment arguer que les pétrolières ont sacrifié leurs marges dans 25% de leur marché pour les augmenter dans le 75% restant. Mais du point du vue du Québec, vous conviendrez qu’il ne s’agit pas d’une mauvaise chose.

En 2010, l’essence à Montréal se vendait 6¢ de plus le litre qu’à Toronto. En 2011, l’essence à Montréal se vendait 7¢ de plus le litre qu’à Toronto, une augmentation due à la hausse de la taxe d’accise du Québec de… 1¢.

Si Montréal et Toronto avaient payé leur essence selon leurs marges respectives de 2010, l’écart aurait été de 15¢, soit le double.

Insignifiant? En 2011 seulement, la différence entre ces marges a représenté une économie 285 millions de dollars pour les automobilistes québécois! Et une dépense supplémentaire de 765 millions de dollars pour les automobilistes ontariens!

N'oubliez pas de remercier les Shell, Petro-Canada, Ultramar et Esso de ce monde la prochaine fois que vous faites le plein.


Finalement, un mot sur les fluctuations du prix de l'essence. Il faut comprendre que les taxes, même si elles représentent une part importante du prix de l’essence, n’explique pas la variation du prix de celle-ci. La plus grande partie de la taxation de l’essence est fixe: les taxes d'accise fédérale et québécoise sont de 10¢ et 17,2¢ respectivement, indépendamment du prix avant taxes. Seules les TVA (TPS et TVQ, dans le cas du Québec), varient conjointement avec le prix de l'essence. Mais leur effet est marginal. Voici les composantes du prix de l’essence pour les onze premiers mois de l'année 2012:


On voit très clairement que si les taxes comptent pour une proportion importante du prix à la pompe (plus ou moins 48¢ au cours de la période visée), la variation du prix final est principalement due aux fluctuations du prix du pétrole brut et aux marges des raffineur et négociant.

Une autre chose à garder en tête lorsque vous faites le plein!